
Aux derniers Championnats d’Afrique de Mathématiques, le Sénégal de Souleymane Bachir Diagne n’a devancé que le Mali de Cheikh Modibo Diarra. Derrière, en toute dernière position, il n’y a que la chétive Guinée-Bissau. Malgré tout, le Sénégal reste le pays où « l’art de vaincre sans avoir raison » est parfaitement assimilé.
Ainsi, comme toujours, autorités académiques et enseignants trouveront des explications, sans jamais proposer et mettre en œuvre des solutions efficaces et durables pour faire retrouver à notre École son niveau de performance et d’excellence. C’est dans cette logique de l’enlisement permanent que bientôt, la cérémonie de remise des prix du Concours général sera une occasion de célébrer une excellence qui cache mal la décadence actuelle de l’École publique sénégalaise. En effet, les lauréats du Concours général n’ont jamais été, ne seront jamais des extraterrestres, des génies tombés directement du ciel à la terre.
Ce sont plutôt de purs produits de l’École publique sénégalaise, modèles d’excellence dans la tradition d’excellence de cette école qui aujourd’hui, périclite littéralement. En effet, depuis quelques années, rares sont les lauréats auréolés de « Premiers Prix ». Nombreux sont-ils plutôt à être couverts « d’Accessits ». Mais le simple fait d’être sélectionné pour participer à ce prestigieux Concours et, qui plus est, de figurer au palmarès, est en soi valorisant.
De ce point de vue, le mérite des lauréats de ces dix dernières années est d’autant plus grand que leurs performances se réalisent dans un environnement scolaire marqué par la crise. Or, aujourd’hui dans notre espace scolaire, c’est la notion de crise elle-même qui semble être en crise. De fait, au plan historique, les crises n’éclatent que de façon conjoncturelle, par à-coups, et se manifestent comme une épreuve de notre capacité à nous transcender pour les surmonter. Mais lorsqu’elle s’installe dans la durée, devient la règle et non l’exception qui la confirme, la crise est alors une sorte d’incongruité immanente, un de ces « effets sans cause » qui font que certains peuples, à certains moments de leur histoire, semblent « marcher à reculons, le dos affronté à l’avenir et au progrès ».
L’École sénégalaise en est aujourd’hui à ce point de décadence. Si bien que parler de crise scolaire, au propre comme au figuré, c’est un abus de langage. Car de façon inconsciemment abusive, cette expression n’est utilisée que quand se déclenche cet épiphénomène que constituent les grèves des syndicats d’enseignants, systématiques jusqu’à la banalité. Ces grèves sont désormais la loi du système éducatif, sa règle de fonctionnement.
Le droit de grève se transforme ainsi progressivement en devoir de blocage du système : débrayages, grèves totales, boycott des évaluations, rétentions des notes, etc. Mais cet effet n’est pas sans cause. L’épiphénomène de la grève est engendré et porté par un phénomène plus profond, plus structurel et moins conjoncturel : l’incurie de nos gouvernants. Qui n’abordent la crise scolaire que sous l’angle de la grève, et celle-ci comme un simple moment de « négociations » où on peut prendre toutes sortes d’engagements, y compris ceux qu’on n’a ni l’intention ni les moyens de respecter.
En attendant la prochaine grève, les prochaines « négociations ». C’est pour cette raison que les grèves de cette année ont quelque chose de parfaitement inédit et écœurant : désaccord sur des accords déjà signés. Ainsi, depuis quelques années, on ne « négocie » que vers la fin de l’année scolaire, uniquement pour « sauver l’année », c’est-à-dire organiser les examens de fin d’année.
Le reste de l’année, enseignants, autorités et même les élèves, font comme si l’École fonctionnait « normalement ». On a l’impression que chaque année, après avoir installé toutes les conditions de la crise (la grève), on ne cherche qu’à « sauver l’année », sans jamais se soucier de sauver l’École. Le cas échéant, cela devrait commencer par un enseignement de qualité et en quantité suffisante, dont les produits seraient nécessairement de qualité. De ce point de vue, le Concours général reste une constante, de même que les résultats statistiques des examens de fin d’année, quelles que soient les circonstances.
Mais à l’épreuve des faits, même l’excellence, aujourd’hui, semble être au rabais par rapport à celle d’hier. C’est que dans notre pays, depuis quelques décennies (ça commence à durer), pour les autorités, les enseignants, les parents d’élèves et les élèves, l’École n’est plus un lieu de ruptures positives où se cultivent et se développent des valeurs structurantes. Au contraire, de plus en plus marginalisée par « l’essentiel », c’est-à-dire l’argent et le pouvoir qu’il confère, l’École n’est plus qu’une grosse machine sans âme, que l’on cherche juste à faire fonctionner pour se donner bonne conscience.
En effet, chaque année, loin de ce qui aurait dû être la réalité scolaire, en pleine année scolaire comme pendant les vacances, tous les acteurs de l’École sont en récréation : grèves, négociations, accords, cours de rattrapage, examens décalés… Si bien qu’aujourd’hui à l’Ecole, de la base au sommet et à toutes les périodes de l’année, scolaire comme civile, c’est en permanence vivement les vacances.
Finalement, l’École n’est pas en crise. C’est plutôt une grosse plaie au cœur de notre société. Or, comme dit Cheikh Hamidou Kane : « Une plaie qu’on néglige ne guérit pas, mais s’infecte jusqu’à la gangrène. Un enfant qu’on n’éduque pas, régresse. Une société qu’on ne gouverne pas se détruit. » Notre mal, c’est notre bien le plus précieux : l’École…