
Traiter une affaire financière comme un vulgaire flagrant délit, c’est chercher midi à quatorze heures. Ou pour le dire autrement, chercher une aiguille dans une botte de foin. Tous les efforts des enquêteurs les plus aguerris se révèlent alors aussi vains que des coups d’épée dans l’océan. Ainsi, on ne fera qu’agiter l’eau bruyamment, pour n’aboutir qu’au même chétif résultat que la montagne de la fable.
Qui, après avoir ameuté tout le voisinage par ses cris, n’accoucha que d’une toute petite souris. De ce point de vue, l’affaire Karim Wade participe de cette gouvernance spectaculaire sur fond de scandales en milliards, dont le régime libéral de Wade, ainsi que son succédané, celui de Macky, sont secoués depuis l’alternance historique de 2000. L’affaire des Chantiers de Thiès n’est ni plus ni moins scandaleuse que celle de la traque des biens supposés mal acquis, initiée par le régime actuel. Mais dans l’une comme dans l’autre, le mal n’est pas dans les libertés et les libéralités que s’autorisent nos gouvernants avec l’argent du contribuable. En l’occurrence, le véritable scandale réside dans le traitement judiciaire des scandales financiers mettant en cause des autorités étatiques. Et qui paradoxalement, ne sont jamais mis en cause que quand ils ne sont plus aux affaires.
Mais assez souvent, la procédure judiciaire ne s’élève jamais plus haut que la clameur médiatique ainsi suscitée. En effet, à la faveur de ces affaires judiciaires, les protagonistes s’aménagent des opportunités d’affaires, c’est-à-dire des arrangements politiques qui assurent l’impunité aux uns et confortent le pouvoir des autres. C’est seulement ainsi que peut se comprendre la manière dont les événements politico-judiciaires se sont emballés depuis le « dialogue national » provoqué par le Président Sall. Et au cours duquel, Oumar Sarr du Pds s’est montré si aisément à son avantage, qu’il a littéralement rabroué le ministre de l’Intérieur et rappelé au Président que la seule issue (politique et non judiciaire) était la libération du « prisonnier politique » Karim Wade, candidat du Pds à la prochaine présidentielle.
Quelques jours plus tard, ses présumés complices sont libérés : l’un pour « raisons (subitement) humanitaires », l’autre de manière « conditionnelle », sans que personne ne sache dans quelles conditions. Quant à la libération de Karim, évoquée par le Président lui-même, à moins que le « deal » dont parle Idrissa Seck n’ait effectivement eu lieu, elle ne sera pas chose aisée pour le pouvoir. En effet, après avoir purgé la moitié de sa peine, son incarcération l’aura transformé, à son corps défendant, en leader politique au statut de martyr que depuis la chute de Me Wade, le Pds attendait pour la reconquête du pouvoir. Or, dans cette perspective, le Président Sall serait confronté à un véritable dilemme : lui accorder une liberté sans épithète, c’est-à-dire une amnistie intégrale des faits pour lesquels il est poursuivi, ou le laisser purger sa peine intégralement ??
Dans les deux cas, le risque politique est grand pour le Président. Mais pour notre République, notre justice et les citoyens sénégalais, les enjeux et enseignements de cette affaire sont ailleurs : sa troublante ressemblance avec celle des Chantiers de Thiès. Dont le Protocole de Rebeuss a été le point d’orgue. La loi, que nul n’est censé ignorer, qui, théoriquement et dans l’absolu, s’applique à tous, est ainsi comprimée à la seule volonté de politiciens uniquement préoccupés à légaliser leurs abus.
Dans cette perspective, on a l’impression que tous les dossiers de la Crei, les rapports de l’Ofnac, du Centif, de l’Ige, etc., ne concernent que Karim Wade, et que tous les autres mis en cause sont désormais hors de cause. Mais ce qu’il y a de plus cocasse dans cette affaire, c’est qu’après avoir accusé Karim Wade d’avoir volé des milliers de nos milliards, on en a dépensé autant, pour chercher, sans jusque-là rien trouver de probant pour asseoir et justifier sa condamnation.
Si bien que dans cette affaire comme toutes celles qui lui ressemblent et dont notre pays est constamment secoué depuis 2000, en attendant le Jugement dernier dans l’au-delà, le jugement des juges ici-bas est réduit à la portion congrue par les arrangements politiques de nos politiciens de gouvernants. En attendant le Jugement dernier, comme d’habitude, c’est déjà, hélas, une affaire classée…